"Le PNR 75 a joué un rôle important dans le maintien des scientifiques suisses au premier plan international"

Christian S. Jensen, président du comité de direction, sur la situation actuelle, la synthèse et les Big Data en général.

​Quelle est la situation générale actuelle du PNR 75?

Le processus d’élaboration du PNR 75 a débuté en septembre 2014, il y a donc près de six ans. Nous nous attendions à une numérisation croissante des principaux processus sociaux et industriels qui produiraient des quantités de données de plus en plus conséquentes. D’une part, ces données permettent d’avoir des processus plus performants et moins coûteux lorsqu’elles sont correctement utilisées. Les expressions telles que "Les données sont le nouveau pétrole" indiquent d’ailleurs que les données sont une nouvelle ressource à partir de laquelle on peut créer des valeurs substantielles. D’autre part, l’exploitation effective et l’utilisation appropriée des quantités croissantes de données constituent de nouveaux défis. Le PNR 75 a donc été mis sur pied pour permettre d’effectuer des recherches et relever ainsi ces défis.Nous avons présenté un programme qui comportait trois modules.

L’un d’eux consistait à relever les défis majeurs pour permettre l’exploitation de grandes quantités de données. Ce module informatisé avait pour objectif de promouvoir la recherche dans le but de créer de meilleures bases pour l’exploitation des grandes quantités de données.

Le second module tenait compte des aspects sociaux des Big Data et visait à étudier les défis sociétaux et réglementaires. Ceux-ci se rapportent par exemple à l’éthique, à la manière dont les possibilités de personnalisation accrues défient la solidarité propre aux assurances, à la façon de réglementer l’exploitation des données volumineuses ou encore de relever les nouveaux défis juridiques engendrés par les données volumineuses.

Enfin, le dernier module a été conçu pour réunir les experts du domaine informatique et les scientifiques des différents domaines dans le but de trouver des solutions aux défis des Big Data dans le cadre d’applications spécifiques.

En juin 2015, le Conseil fédéral a chargé le Fonds national suisse de mettre en œuvre le PNR 75, ce qui a conduit à une mise au concours pour des projets de recherche. L’objectif était de financer, au sein des modules, les meilleurs projets proposés par les membres de la communauté scientifique suisse. Après une procédure d’évaluation compétitive et très sélective, un portefeuille de 12, 8 et 14 projets a été financé dans les trois modules. Certes, ces projets étaient loin de couvrir tous les défis liés aux Big Data, mais ils ont été jugés très prometteurs par un organisme international pour contribuer de manière significative aux aspects sélectionnés.

Les projets ont débuté en 2017 et seront tous clôturés dans le courant de l’année 2020 ou 2021.

Quelles sont vos attentes par rapport aux projets?

Les projets – à l’exception de deux – ne sont pas encore clôturés. Je constate un engagement considérable ainsi que des efforts soutenus dans tous les projets. L’ampleur des défis liés aux Big Data évolue si vite que les résultats combinés des projets ne peuvent "résoudre" les problèmes liés aux Big Data de manière définitive. Une fois qu’un problème est résolu, il arrive bien souvent que de nouveaux problèmes surgissent.

Je ne doute pas que chaque projet réalisera des progrès importants dans son domaine, comme prévu dans la demande. Je reconnais aussi que tous les projets n’atteindront pas leurs objectifs initiaux. C’est dans la nature d’une recherche ambitieuse: dans certains les cas, les objets peuvent s’avérer trop élevés; dans d’autres cas, les chercheurs peuvent redéfinir leurs objectifs lorsqu’ils acquièrent davantage de connaissances; et dans d’autres cas encore, ils parviennent à atteindre des objectifs plus élevés que ceux escomptés à l’origine. J’ai hâte de lire tous les rapports finaux.

Quels ont été les temps forts du PNR jusqu’à présent?

J’aimerais me concentrer ici sur le projet «ICU-Cockpit: quand des ordinateurs viennent en aide à la médecine intensive et d’urgence» car ce projet est clôturé.C’est un exemple de projet du troisième module. Il concerne la sécurité des patients dans les unités de soins intensifs. Dirigé par la professeure Emanuela Keller de l’hôpital universitaire de Zurich, ce projet implique des expertes et des experts du domaine informatique d’IBM et de l’ETH Zurich. Au lieu d’expliquer l’avancement du projet, je donne la parole à Madame Keller (voir liens). Ce projet illustre parfaitement de quelle manière les Big Data peuvent être utilisées dans une application spécifique grâce la collaboration des spécialistes dans les domaines et en informatique. Le projet illustre également comment la recherche se poursuit même après la fin d’un projet, en l’occurrence par la transition vers les études cliniques et l’application pratique concrète.

Vous avez commencé le processus de synthèse. Que pouvons-nous attendre de cette synthèse?

Il y a peu, nous avons conçu le format du rapport de synthèse sur les activités du PNR ainsi que le procédé de rédaction du rapport. En juin, les propositions du Fonds national suisse ont été approuvées. Le processus débutera lentement l’hiver prochain et se terminera dans deux ans. Nous ferons appel à un ou une journaliste scientifique pour que le rapport soit bien lisible. En effet, notre objectif est de fournir un rapport destiné à un lectorat grand public et intéressé. Nous expliquerons l’importance des thèmes qui ont été traités par les projets du PNR et la manière dont ils ont été abordés. De cette façon, le rapport s’appuiera sur les thèmes ou les défis qui ont été traités par les projets des trois modules. Nous espérons traiter des études de cas qui se rapporteront aux activités quotidiennes de la vie moderne et qui nous ouvriront les yeux. Nous prévoyons de mettre en lumière les enseignements généraux, les conseils et les conclusions des projets.

Le concept de Big Data est très flou. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il signifie pour vous? Comment les Big Data ont-elles évolué depuis le lancement du programme?

En fait, le concept de Big Data est flou, car la signification peut diverger selon le contexte.

Selon Wikipedia, les Big Data désignent les "ressources d’informations dont les caractéristiques en termes de volume, de vélocité et de variété imposent l’utilisation de technologies et de méthodes analytiques particulières pour générer de la valeur …" Je crois que cela est une bonne approximation de l’importance des Big Data dans un environnement de recherche. Selon certains rapports, notre capacité à stocker des données a doublé tous les 40 mois depuis les années 1980. Un rapport IDC prévoit par ailleurs que le volume global de données dépassera les 160 zettaoctets d’ici 2025.

Alors que l’article ne mentionne que le volume et la variété des données comme sources pour les nouveaux défis, d’autres aspects tels que la diversité, la vitesse de création et la véracité (véracité ou fiabilité) des données sont souvent mentionnés. J’ai déjà vu dans un rapport que l’on mentionnait pas moins de 42 V! Par ailleurs, la version anglaise de l’article Wikipédia ne tient pas compte des aspects sociaux des Big Data – le fait de "traiter" les données d’une manière appropriée sur le plan social. Cet aspect a été jugé si important qu’un module lui a été consacré dans le PNR 75. Enfin, il apparaît de plus en plus évident que les Big Data présentent de nouveaux défis dans différents domaines d’application. En effet, lorsque l’objectif final est une valeur ajoutée responsable, les applications sont importantes car c’est là que se situe réellement la valeur ajoutée.

Tenant compte de tous ces facteurs, l’ampleur des recherches sur les Big Data a augmenté au cours des cinq dernières années et continuera encore de croître.

Selon vous, où les Big Data auront-elles le plus grand impact? Du point de vue d’un chercheur? De vous personnellement?

Ce sont des questions importantes. Je crois fermement au programme de développement durable 2030, qui a été adopté en 2015 par les Nations unies. Ce programme comprend les 17 objectifs de développement durable (ODD). Je pense que la recherche sur les Big Data peut contribuer à la réalisation d’une grande partie ou de l’ensemble de ces objectifs. Selon moi, le changement climatique pourrait être l’un des défis les plus urgents. Les Big Data peuvent nous aider à comprendre et réduire le changement climatique, et à faire face à ses répercussions. Et cela n’est qu’un exemple. Les possibilités de créer de la valeur à partir des données dans le cadre des ODD sont très nombreuses.

De mon point de vue, je me réjouis de plus en plus que le PNR 75 ait été conçu de façon à contenir un module social. Les technologies de l’information ont une influence grandissante sur notre société. Pour un scientifique comme moi, c’est formidable, car cela signifie que ce que nous faisons est important. Mais cela soulèvera (ce devrait être le cas!) de plus en plus de questions sociales sur la manière de garantir une utilisation appropriée des technologies.

Comment évaluez-vous la position de la Suisse par rapport aux recherches sur les Big Data et leurs applications? Et la position du PNR 75?

Le PNR 75 a utilisé l’instrument du Programme national de recherche pour mettre l’accent sur la maîtrise globale des principaux enjeux liés aux Big Data. Le PNR 75 est parvenu à concevoir un portefeuille de projets qui sont dirigés par des scientifiques engagés et hautement qualifiés, et sont tous à la pointe de la technologie. Outre les résultats spécifiques qui ont été obtenus dans les projets, le PNR 75 a façonné le paysage de la recherche de sorte que les scientifiques continuent de relever les défis liés aux Big Data même après la fin du PNR 75. De plus, les activités de sensibilisation du PNR 75 ont attiré l’attention sur les répercussions des Big Data sur la société. Par exemple, d’outil pédagogique pour les cycles secondaires a été mis à disposition. Globalement, le PNR 75 a joué un rôle important dans le maintien des scientifiques suisses au premier plan international et a pris des mesures importantes pour permettre une exploitation appropriée des Big Data dans l’intérêt de la Suisse.

Christian S. Jensen

Christian S. Jensen est professeur au Department of Computer Science de l’université d’Aalborg (Danemark). Ses recherches se concentrent sur la gestion et l’analyse des données concernant les données spatio-temporelles. Auparavant, il a travaillé dans les universités d’Aarhus, de l’Arizona et du Maryland, ains qu’au siège de Google à Mountain View (Californie). Il préside le comité de direction du PNR 75 "Big Data".